Maureen 'Moe' TuckerCollector & Moe Better Bluesby Bruno Juffin |
COLLECTOR - MOE TUCKER C'est en 1989 que parut "Life in exile after abdication", le premier véritable album de "Moe, le retour". Comme la dame a les obsessions bien enracinées, elle y reprenait encore le Bo Diddley (de Bo Diddley -Ellas Mc Daniels-) mais cette fois avec une vraie section rythmique et poursuivait son voyage down memory lane avec "Pale blue eyes" (version plutôt stridente, sur laquelle un certain Lou Reed prenait plaisir à faire un boucan assez white noise avec sa guitare; il joue sur deux morceaux). Surtout, "Life in exile" voyait Moe se lancer dans la composition avec cinq chansons dont "Andy", son "Dime store mystery" à elle qui, comme tout hommage se doit de l'être, était attendrissant et tout ce genre de choses. Toujours édité par la VUAS, l'album eut une distribution presque honnête et la participation, le temps d'un morceau, de Thurston Moore lui donna une vague ébauche de potentiel commercial.
La tournée qui suivit l'hiver dernier laissa d'excellents souvenirs et comme il eut été sot de ne pas en faire profiter tout un chacun, New Rose sort opportunément un "Live" "Oh no, they're recording this show" que nous ne saurions trop recommander à qui a raté les shows en question. Bien sûr, le disque fait la part belle au précédent et les arrangements n'ont rien de fondamentalement différents mais où trouver d'autres choeurs de Sterling Morrison (sur le délicatement désespéré "Goodnight Irene", de Leadbelly) et qui connaît "Hey Mersh" cette ode à la défonce de la consommatrice qui voit Moe et sa copine Mersh (Martha Morrison) se défoncer en lançant une grande razzia dans un de ces shopping malls qui enlaidissent l'Amérique et font le bonheur de ses teenagers, fussent-ils (elles) attardé(e)s. Et bien sûr, nous avons droit en "rappel" à une more "Bo Diddley" (est-ce la version du Casino de Paris, sur laquelle Lou l'impossible s'excita comme un pou à la guitare rythmique avant de gratifier son exbatteuse d'un chaste baiser sur le front ?) et à l'autre version de "Too shy", la version fifties chaloupée qui n'a plus rien à voir avec le brûlot Sister Rayien de "I spent a week" et qui est aussi bonne, un peu comme "Country honk" est une jolie variante de "Honky Tonk Woman"...
Pour nos amis pressés, synthèse rapide: les albums de Moe sont de grands petits disques qui nous vengent des tonnes de disques d'or artistiquement lilliputiens dont beaucoup font grand cas et ce "Live" peut faire fonction de best of (parler de greatest hits serait quand même déplacé) récapitulatif, même si on peut regretter que ce soit le seul disque de Moe qui ne contienne aucune reprise du Velvet, ce qui nous prive du "I'm sticking with you" d'anthologie qu'elle chantait lors de cette dernière tournée. Mais c'est là un tout petit bémol et les moins fétichistes d'entre vous devraient être comblés par ce "Live" et bien sûr mettre à profit la tournée automnale de Moe pour vérifier à quel point sa voix "pittoresque" sur "Playin' possum" est devenue un véritable petit instrument musical, dont elle tire excellemment parti.
(Bruno Juffin) |
MOE BETTER BLUES On peut croire Moe Tucker sur parole, d'autant que son nouvel album illustre très rigoureusement ses propos. Guitare rythmique martiale, chansons sans fioritures, textes passablement teigneux- on y chercherait en vain la moindre référence au Velvet, comme si la reformation, si proche et déjà si lointaine, de l'an passé avait conduit Moe à faire table temporairement rase des vestiges de son légendaire passé. Sur chacun de ses disques solo antérieurs, on trouvait une ou deux petites reprises - généralement fort intéressantes, d'ailleurs - susceptibles de titiller la curiosité d'un jeune public élevé dans le respect mâtiné d'effroi qu'inspira le grand mythe new yorkais jusqu'à la sortie du "LIVE MCMXCIII" d'assez fugitive mémoire. Mais l'heure ne semble a priori plus être à la nostalgie. "Dogs under stress" n'est paré d'aucun fard, et offre l'occasion assez peu commune de découvrir ce que peut être le rock'n'roll lorsqu'il est pratiqué par une mère de famille nombreuse, ancienne employée d'une chaîne de supermarchés, c'est-à-dire par quelqu'un qui en bonne logique médiatique devrait être parfaitement invisible, et n'avoir droit tout au plus qu'à une vague existence statistique. Et là, par un petit miracle qui tient sans doute à la sincérité sans détour de Moe, c'est l'Amérique muette des cols-bleus, implacablement ignorés par une télévision qui n'aime que le franchement beau ou le carrément monstrueux, qui retrouve la parole. Du coup, des textes qui chez d'autres sentiraient le cliché se trouvent légitimés par l'âge et l'expérience d'une chanteuse dont on ne voit vraiment pas à qui elle pourrait être comparée - le white working class adult féminine blues, ça n'occupe pas précisément beaucoup de rayons chez les disquaires ! En fait, Moe fait un peu penser à ces spectatrices de talk-shows, qui n'ont dans le meilleur des cas droit qu'à quelques secondes de temps d'antenne, et qui ne servent guère de gage d'authenticité (toute symbolique, bien sûr), sauf qu'ici, c'est elle qui mène le jeu, et qu'elle a la fibre revendicative plutôt développée. Dire que le résultat n'est pas franchement gai tiendrait d'ailleurs de l'euphémisme : analphabétisme, chômage, violence et familles en pleine déconfiture, le tout vu de front, sans faux-semblants poétiques ni pieux mensonges volontaristes, tout concourt à donner l'impression de feuilleter un petit catalogue de l'horreur ordinaire, qui pour une fois n'aurait pas été établi par un "spécialiste" condescendant ou apitoyé, mais par quelqu'un qui aurait vécu ces situations de l'intérieur, et qui n'en tirerait aucun enseignement moralement recyclable (pour le genre "mes infortunes m'ont grandi", autant chercher ailleurs). Seule concession au romanesque : le disque a deux fins, dont l'une, implacablement inéluctable, ne se prête guère à la glose, ("I want to start, but this is the end"), tandis que l'autre renoue avec un vieux thème de "Loaded", ("Train round the bend", pour être précis) : Moe attend le train de New York, qui va la "libérer", comme si, chassés par la porte, les fantômes d'un glorieux passé restaient la seule petite lucarne ouverte sur un ailleurs vivable. Mais là, autant laisser la parole à l'intéressée :
"Nous nous sommes bien amusés pendant la tournée européenne. Nous nous entendions bien, il y avait une véritable camaraderie entre nous. Les choses se sont gâtées quand Lou a décidé de s'arroger le droit de produire seul le concert "Unplugged" que nous devions jouer. Moi, je lui ai dit que nous n'avions pas besoin de producteur, qu'il suffisait de brancher le micro et de laisser tourner le magnétophone. Ce qui s'est passé est vraiment idiot, nous étions très enthousiastes à l'idée de ce concert, John avait des idées d'instruments nouveaux, nous aurions pu jouer des chansons du Velvet, bien sûr, mais aussi des morceaux tirés de nos albums solo, et pourquoi pas des chansons de Chuck Berry, ça aurait été amusant. Mais Lou a l'habitude de tout contrôler... Maintenant, il essaie de faire croire qu'il s'est agi d'un conflit d'ego entre lui et John, mais ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées. Sterling, John et moi étions du même avis, nous avions envie de continuer à fonctionner en tant que groupe, de façon démocratique..."
Alors, puisque le Velvet, c'est fini, pensez vous qu'il y ait des chances pour que des morceaux inédits sortent à nouveau ? La "Velvet Underground Appreciation Society" propose des enregistrements pirates de titres dont on n'avait jamais entendu parler auparavant, dont l'un s'intitule "Countess from Hong Kong".
"C'est possible. Il doit y avoir des tas de bandes qui circulent ; en ce temps-là personne ne se souciait de savoir si les concerts étaient enregistrés ou non. "Countess from Hong Kong" existe bel et bien, mais nous ne l'avons
jamais enregistrée en studio, il n'existe sans doute que des versions live. C'était une chanson mid-tempo, mais je ne l'ai pas entendue depuis très longtemps. A l'origine, quand nous nous sommes reformés, nous devions tous préparer une liste de morceaux, mais j'ai été la seule à le faire..."
Pensez vous travailler à nouveau avec John et Sterling ?
"Oui. Sterling a joué sur quelques morceaux de mon nouvel album, puis il est redevenu capitaine d'un remorqueur sur le Golfe du Mexique. John doit faire une tournée en avril, mais ensuite nous avons projeté de collaborer à nouveau..."
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